Pénuries sanguines au Maroc : Au-delà de la collecte, penser la durabilité transfusionnelle

Quand chaque goutte compte, le Maroc se confronte à un défi majeur : garantir un approvisionnement stable en sang face à des pénuries récurrentes.  

À l’occasion de la Journée mondiale du don de sang, le 14 juin 2025, le Maroc remet en lumière un défi structurel de son système de santé : l’instabilité chronique de sa chaîne transfusionnelle. Malgré des efforts notables en matière d’organisation et de sensibilisation, les pénuries cycliques de sang, aggravées lors de périodes sensibles révèlent les limites d’un modèle encore largement fondé sur des dons occasionnels et une logique de réaction.

Les efforts du Maroc : 

Face à ces défis, la stratégie nationale vise aujourd’hui plusieurs objectifs :  

  • Anticiper les pénuries de sang dans les institutions hospitalières. 
  • Réduire les coûts d’urgence en cas de catastrophe.
  • Renforcer la résilience sanitaire du pays. 
  • Élargir la base des donneurs et rapprocher les services de collecte dans toutes les provinces, notamment les plus enclavées. 

Le dispositif national repose sur un réseau structuré de Centres Régionaux de Transfusion Sanguine (CRTS), implantés dans les principales métropoles du pays, de Casablanca à Oujda en passant par Rabat, Fès, Tanger ou Agadir. Ces centres assurent l’ensemble de la chaîne transfusionnelle (collecte, traitement et distribution)  en lien avec les établissements de soins. 

Grâce à ce réseau structuré de centres régionaux, le Maroc parvient progressivement à améliorer la couverture transfusionnelle sur l’ensemble du territoire. En 2023, les dons de sang ont atteint 382 234, soit une hausse de 11 % par rapport à 2022. Pendant le ramadan 2024, une augmentation exceptionnelle de 14 % des dons a été enregistrée comparé à l’année précédente. Cette progression a été enregistrée à la suite au lancement de plusieurs campagnes extérieures lancées : des collectes sont organisées en milieu universitaire, entreprises ou lieux publics. Par exemple, à la Faculté Polydisciplinaire de Safi, une campagne a eu lieu les 29 et 30 avril 2025 avec le CRTS de Safi. Chaque donation se fait selon un protocole rigoureux en se basant sur la liste de critères mise en place par l’organisation mondiale de la santé pour donner en toute sécurité : âge, poids, état de santé, antécédents… 

Les défis structurels : 

Cette organisation, bien que consolidée, doit aujourd’hui répondre à de nouveaux défis structurels : 

  • Des pénuries cycliques : celles-ci surviennent régulièrement lors de certaines périodes de l’année comme l’été, le Ramadan ou les fêtes religieuses. Durant ces moments, la baisse du nombre de donneurs coïncide avec une augmentation de la demande, notamment à cause des accidents de la route et des besoins médicaux urgents. Les stocks de sang sont souvent très bas, parfois limités à quelques jours de réserve, ce qui met en danger la vie des patients nécessitant des transfusions en urgence, notamment les victimes d’accidents. Cette situation est aggravée par la courte durée de conservation des composants sanguins : 42 jours pour les globules rouges, 5 jours pour les plaquettes ce qui impose un renouvellement constant des stocks. 
  • Une dépendance accrue aux dons occasionnels : Le système marocain repose encore largement sur des dons occasionnels, souvent motivés par des situations d’urgence ou des appels ponctuels à la solidarité, plutôt que sur une culture du don régulier. Cette logique réactive contraste avec l’objectif d’autosuffisance structurelle que devrait viser toute politique de transfusion. Selon Dr Zejli, chef du service de promotion et de coordination au CRTS, les campagnes de collecte sont souvent intensifiées lors des crises, mais cela ne permet pas de garantir une autosuffisance structurelle. Le Maroc est donc dans une approche réactive plutôt que préventive : le don de sang n’est pas encore perçu comme un engagement citoyen régulier, mais plutôt comme une réponse à une situation exceptionnelle. 
  • Manque de donneurs réguliers : cette dépendance aux dons ponctuels s’accompagne d’un manque structurel de donneurs réguliers. Le taux de donneurs réguliers au Maroc reste faible : seuls 22% des donneurs sont considérés comme réguliers, alors que l’OMS recommande un taux de donneurs supérieur à 1% de la population. Le Maroc n’atteint que 0,92%. Cette insuffisance de donneurs réguliers empêche la constitution de stocks stables et fiables, exposant le pays à des ruptures fréquentes. 

L’impact multidimensionnel des pénuries sur le Maroc : 

Ce déficit structurel de donneurs réguliers, combiné à une logique de don essentiellement réactive, fragilise durablement le système national de transfusion. Au-delà de l’enjeu sanitaire immédiat, les pénuries de sang ont également des répercussions économiques et organisationnelles notables, qui affectent l’ensemble des acteurs du système de santé. Leurs conséquences s’observent à plusieurs niveaux, en particulier sur le plan économique. Parmi ses conséquences : 

  • Recours à des solutions coûteuses : Pour remédier à la pénurie, l’achat de poches de sang se fait à  prix élevé :  le coût d’une poche de sang peut varier entre 300 et 3 000 DH ( prix de 2017 avant l’inflation)  selon le groupe sanguin et la pathologie du patient, ce qui représente une charge financière importante pour les familles et les hôpitaux. 

Quelles solutions sont envisageables pour combler cette pénurie ? 

L’amélioration durable du don de sang au Maroc passe par la mise en place de plusieurs solutions systémiques :

  • Développer une culture du don :  le développement d’une culture du don de sang, intégrée dans les politiques de santé publique et les programmes éducatifs au Maroc, est essentielle pour garantir une autosuffisance durable en produits sanguins et répondre aux besoins croissants du pays. Dans cette optique, le Maroc a déjà lancé plusieurs campagnes nationales qui visent à sensibiliser la population et à encourager des dons réguliers, notamment auprès des jeunes et des étudiants, qui constituent une part importante des donneurs. 
  • Intégrer la culture du don dans les programmes scolaires :  ce point constitue un élément clé dans les solutions à apporter. En effet,  en inculquant dès le plus jeune âge les valeurs de solidarité, en informant sur la sécurité du don et en combattant les idées reçues, cela contribuerait à transformer le don occasionnel en un engagement citoyen continu.
  • L’intégration systématique de la culture du don dans les politiques publiques : il s’agit un levier fondamental pour assurer la sécurité transfusionnelle, renforcer la mobilisation sociale et pérenniser le système de santé au Maroc. Par exemple une obligation pour les entreprises publiques et privées d’organiser au moins 2 campagnes/an.
  • Création d’une base de données nationale des donneurs : des application sont en cours de développement pour rappeler automatiquement les donneurs éligibles par SMS ou e-mail, ce qui favorise la régularité des dons et réduit la dépendance aux collectes d’urgence. 

La question du don de sang au Maroc ne peut plus être abordée uniquement sous l’angle de la sensibilisation ou de la mobilisation ponctuelle. Elle pose, en réalité, une problématique plus vaste de souveraineté sanitaire et de résilience du système de santé. Alors que les données montrent une progression encourageante, les pénuries persistantes révèlent les limites d’un modèle encore réactif et insuffisamment ancré dans une logique structurelle.

Construire une autosuffisance transfusionnelle durable nécessite un changement de paradigme : il ne s’agit plus seulement de collecter davantage, mais de repenser en profondeur le rapport des citoyens, des institutions et des territoires au don de sang.Face à ces enjeux, la question reste ouverte : comment mobiliser durablement l’ensemble des citoyens marocains pour faire du don de sang un véritable acte citoyen, régulier et solidaire ?

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