Investir dans la santé : combien rapporte 1 dirham dépensé dans la prévention ?

Alors que les dépenses de santé ont triplé en Afrique entre 2000 et 2018, les systèmes restent largement centrés sur le curatif, au détriment d’une politique ambitieuse de prévention. Vaccination, dépistage précoce, éducation à la santé : autant de leviers sous-exploités, pourtant capables de réduire la charge des maladies et les coûts à long terme.

Le Maroc n’échappe pas à cette tendance : la part du budget santé consacrée à la prévention reste en deçà des recommandations internationales. Or, les données mondiales sont sans appel : chaque dollar investi en prévention peut générer jusqu’à 14 dollars de bénéfices économiques.

Dans un contexte de transition épidémiologique et de raréfaction des ressources, cette sous-priorisation interroge. Combien rapporte réellement un dirham investi dans la prévention ? Et surtout, pourquoi continuons-nous à négliger ce levier pourtant si rentable ?

La prévention, grande absente des budgets santé africains

Malgré les discours, la prévention demeure peu visible dans les budgets. Le continent africain reste le cinquième continent du monde en termes de dépenses publiques pour la santé, avec 5,3 % de son PIB consacrés à ce secteur. L’engagement financier des États africains pour la santé reste limité : selon l’Atlas des dépenses de l’OMS (2023), seuls quelques pays dépassent le seuil de 15 % du budget national alloué à la santé, et la part allouée à la prévention est généralement très faible voire non détaillée. 

Au Maroc, la part du budget santé consacrée à la prévention se situe généralement entre 10% et 13%, selon les rapports du ministère de la Santé et les évaluations d’organismes internationaux pour la période 2022-2025. Ce niveau demeure inférieur aux standards recommandés par l’OMS, qui encourage de porter ce ratio à 20% dans les pays en transition épidémiologique. 

Pourtant, les données mondiales sont sans équivoque : les données montrent qu’un dollar investi peut générer jusqu’à 14 dollars de bénéfices économiques, en réduisant les coûts futurs liés aux soins, en augmentant la productivité et en allégeant la pression sur les systèmes de santé.

Dans ce contexte de raréfaction de l’aide internationale et de transition épidémiologique, réorienter les priorités budgétaires devient un enjeu de souveraineté économique autant que de santé publique.

Un levier stratégique pour des systèmes plus soutenables

Investir dans la prévention en Afrique n’est pas uniquement un impératif sanitaire : c’est un levier stratégique pour la soutenabilité des systèmes de santé. Alors que le continent est confronté à un double fardeau : persistance des maladies infectieuses et montée rapide des maladies non transmissibles (MNT), les coûts liés à la prise en charge tardive explosent.

La Banque Mondiale estime que chaque dollar investi dans la santé génère en moyenne un retour économique de 2 à 4 dollars. Des programmes de prévention, comme la vaccination, ont démontré leur efficacité en permettant d’économiser environ 350 milliards de dollars en coûts dans le traitement des maladies infectieuses depuis l’année 2000.  

Ces investissements se traduisent par plusieurs bénéfices tangibles pour les finances publiques :

  • Réduction des dépenses de soins curatifs : Investir dans la prévention des maladies (vaccination, dépistage précoce, éducation à la santé, promotion d’une alimentation saine et de l’activité physique) réduit le nombre de personnes malades et, par conséquent, le besoin en traitements coûteux, hospitalisations et médicaments. Les maladies chroniques et coûteuses, par exemple, pèsent lourdement sur les budgets de santé.
  • Augmentation de la productivité de la main-d’œuvre : Une population en meilleure santé est plus productive, ce qui se traduit par moins d’absentéisme au travail et une meilleure performance économique. Cela a un impact positif sur le PIB et les recettes fiscales (impôts sur les revenus, TVA sur la consommation accrue).
  • Diminution des indemnités et prestations sociales : Moins de maladies et d’accidents signifie moins de demandes d’indemnités journalières pour incapacité temporaire de travail, moins de rentes pour incapacité permanente, et une réduction des charges pour la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) et d’autres régimes de protection sociale.
  • Attractivité des investissements : Un pays avec un système de santé performant et une population en bonne santé est plus attractif pour les investisseurs étrangers, ce qui peut générer des emplois et des recettes fiscales supplémentaires.

Prévention en Afrique : des résultats probants, des modèles à suivre : 

Un exemple concret de ce constat est celui du Rwanda, souvent cité comme un modèle de réussite en Afrique subsaharienne. Grâce à des politiques ambitieuses et à des partenariats public-privé, le pays a massivement investi dans la prévention sanitaire, en particulier la vaccination, le dépistage et la lutte contre les maladies infectieuses. Résultat : entre 2000 et 2020, l’espérance de vie est passée de 49 à 67 ans, avec une forte réduction des maladies évitables et des hospitalisations coûteuses.

Mais au-delà de ce succès, l’exemple rwandais souligne un défi plus vaste à l’échelle du continent : l’Afrique est confrontée à la persistance des maladies infectieuses et à une augmentation significative des maladies non transmissibles (comme le diabète, le cancer et les maladies cardiovasculaires), dont le taux de mortalité est passé de 24% en 2000 à 37% en 2019. C’est précisément dans ce contexte que la prévention prend tout son sens, en permettant de réduire durablement les coûts liés aux traitements lourds et chroniques.

Ces résultats ne sont pas isolés : d’autres pays africains confirment, par des exemples concrets, que la prévention est un levier puissant pour améliorer la santé publique tout en maîtrisant les dépenses.

En Éthiopie par exemple, le gouvernement a mis en place un programme de prévention reposant sur plusieurs piliers : distribution massive de moustiquaires imprégnées d’insecticides, détection précoce… Les résultats sont impressionnants : entre 2005 et 2017, la prévalence du paludisme a chuté de façon spectaculaire, avec une réduction de 48% des cas, 54% des hospitalisations et 55% des décès liés à cette maladie. Cette baisse s’est traduite par une diminution considérable des coûts directs d’hospitalisation et des dépenses liées aux soins intensifs, contribuant à alléger la pression sur le système de santé et à libérer des ressources pour d’autres priorités sanitaires.

Un autre pays tout aussi investi dans la prévention est le Botswana qui grâce à sa campagne menée pour lutter contre le VIH/sida a permis de réduire significativement la mortalité liée à la maladie. Sur le plan économique, cette réduction des coûts directs de santé a contribué à libérer des ressources qui ont été réinvesties dans d’autres secteurs sociaux et économiques du pays.

Enjeux et leviers pour booster la prévention en Afrique et au Maroc : 

Les défis auxquels sont confrontés les systèmes de santé en Afrique et au Maroc, qu’ils soient structurels, épidémiologiques ou sociaux, rendent les enjeux de la prévention particulièrement complexes. Pour progresser, plusieurs axes stratégiques doivent être considérés :

  • Rééquilibrer les priorités face au double fardeau sanitaire : un fardeau qui exige une stratégie équilibrée. D’un côté, il faut poursuivre les efforts de prévention contre les maladies transmissibles encore fortement présentes (paludisme, tuberculose, VIH). De l’autre, il est impératif d’anticiper la progression rapide des maladies non transmissibles (diabète, cancers, maladies cardiovasculaires), dont la charge ne cesse d’augmenter, notamment au Maroc. Cette évolution impose une approche préventive multisectorielle, ciblée et adaptée aux nouvelles vulnérabilités sanitaires.
  • Soutenir un financement pérenne et souverain : La diminution des aides internationales dans l’après-Covid met en lumière la nécessité pour les pays africains, dont le Maroc, de repenser leurs mécanismes de financement de la prévention. Assurer sa pérennité passe par une mobilisation plus efficace et coordonnée des ressources publiques, privées et communautaires. Construire un modèle financier autonome devient ainsi un levier clé pour garantir la résilience et l’indépendance des systèmes de santé face aux crises futures.
  • Mobiliser les citoyens et promouvoir l’importance de la prévention par l’éducation : Communiquer sur les avantages tangibles : réduction des risques, amélioration de la qualité de vie, limitation des complications aident à augmenter l’adhésion des individus aux pratiques préventives comme la vaccination, le dépistage régulier, ou les contrôles médicaux périodiques. En particulier, sensibiliser tôt, dès le jeune âge, favorise l’adoption de comportements sains qui perdurent toute la vie.

Conclusion :  

Les résultats observés au Rwanda, en Éthiopie ou au Botswana montrent que la prévention fonctionne, à condition qu’elle soit pensée comme un véritable pilier stratégique des politiques de santé. Pour en amplifier l’impact, plusieurs leviers doivent être activés.

L’innovation et la digitalisation offrent aujourd’hui des opportunités majeures : télémédecine, applications de suivi médical, bases de données épidémiologiques partagées… autant d’outils qui permettent de détecter plus tôt, de suivre plus efficacement, et d’intervenir plus rapidement, même dans les zones reculées.

Mais la technologie ne suffit pas. Il faut aussi une gouvernance multisectorielle, qui implique les secteurs de l’éducation, de l’environnement, de l’agriculture ou encore des médias, pour agir ensemble sur les déterminants de santé. Le Maroc, avec sa Stratégie multisectorielle de prévention et de contrôle des maladies non transmissibles, a déjà posé les bases d’une telle approche.

Investir dans la prévention, ce n’est pas seulement une décision sanitaire : c’est un choix de société. Un choix qui peut, pour chaque dirham investi, rapporter bien plus qu’il ne coûte.

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