RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ET UNIVERSALISATION DE L’AMO : LE MODÈLE MAROCAIN

La généralisation de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) au Maroc constitue l’une des réformes sociales les plus ambitieuses de ces dernières décennies. Deux ans après la mise en œuvre de cette transformation majeure, l’heure est à l’évaluation. 

Pour analyser ces enjeux, La Vie Éco a réuni lors de son cercle de conférences « Les Débats de La Vie Éco » des acteurs clés du système de santé national sous le thème : Deux ans après la généralisation de l’AMO avec comme intervenants Hassan Boubrik, Directeur général de la CNSS, Abdelkrim Meziane, Secrétaire Général du ministère de la Santé, Rochdi Talbi, PDG du groupe Akdital, Raouf Mohsine, Directeur du Centre Hospitalier Ibn Sina de Rabat et Yasser Sefiani, Professeur de médecine et Directeur de clinique.

Lors de son intervention, Hassan Boubrik a mis en avant les réformes mises en œuvre à la CNSS, alliant digitalisation et accessibilité renforcée. Quels sont les impacts réels de cette transformation ? Quels défis restent à surmonter ? Décryptage.

UNE COUVERTURE SANITAIRE EN PLEINE EXPANSION

Le Maroc a multiplié par trois le nombre de bénéficiaires de l’AMO en seulement quelques années. De 7,8 millions d’assurés en 2020, le pays compte aujourd’hui 25 millions de personnes couvertes par la CNSS. Une avancée rendue possible grâce à l’intégration massive des travailleurs non salariés et à l’inclusion des anciens bénéficiaires du RAMED dans le régime AMO-Tadamon. Le 1er décembre 2021 a marqué une étape historique avec l’intégration immédiate de 4 millions de nouveaux assurés, suivie du basculement du RAMED vers l’AMO Tadamoune, couvrant ainsi 11 millions d’ayants droit.

La CNSS traite désormais plus de 110 000 dossiers de remboursement par jour, contre 22 000 en 2020, une augmentation spectaculaire qui illustre l’ampleur du chantier.

DIGITALISATION : FIN DES FEUILLES DE SOINS PAPIER

Le passage au numérique est au cœur de la transformation de l’AMO. D’ici 12 mois, la CNSS prévoit de commencer le remplacement progressif de la feuille de soins papier par une version dématérialisée. Pour y parvenir, il sera essentiel de déployer ce dispositif auprès des médecins et des prestataires de soins, tout en plaçant le patient au centre de cette transition. Bien sûr, cette évolution prendra du temps. Ce dispositif repose sur plusieurs innovations clés :

  • Identification numérique des patients : plus besoin de documents physiques, tout est enregistré sur le portail CNSS par le médecin.
  • Prescription et remboursement intégrés : médicaments, analyses et imageries seront directement enregistrés et accessibles par les professionnels de santé.
  • Réduction des délais de remboursement : aujourd’hui estimés entre 8 et 9 jours en moyenne, ces délais devraient encore diminuer avec l’automatisation.

« J’espère que dans 9 à 12 mois, les choses seront concrètes. Notre plateforme sera déployée sur un site pilote, avant une généralisation nationale », a déclaré M. Boubrik lors de la conférence de La Vie Éco. Le projet est mené en collaboration avec Brom, un spécialiste de la transformation digitale selon LeDesk.

UN ACCÈS RENFORCÉ SUR TOUT LE TERRITOIRE

L’élargissement de l’AMO a nécessité une refonte du maillage territorial des services de la CNSS. Face à la concentration urbaine des infrastructures, la CNSS a :

  • Étendu son réseau de 120 à 174 agences,
  • Noué des partenariats avec des établissements de paiement, portant à plus de 3 000 points de service le réseau disponible.

Aujourd’hui, 93 % des demandes sont traitées via ces canaux décentralisés, réduisant ainsi l’attente en agence à seulement 10 minutes en moyenne dixit M. Boubrik.

LE CAS DES « 8 MILLIONS EXCLUS » : RÉALITÉ OU INTERPRÉTATION ?

Un débat persiste autour des 8 millions de Marocains supposément non couverts. Hassan Boubrik nuance cette donnée : il ne s’agirait pas d’exclus, mais de personnes ne s’étant pas encore immatriculées ou ayant cessé de cotiser.

« Nous avons mis en place un système où l’État prend en charge les cotisations des plus démunis via l’AMO-Tadamon. Mais ceux qui en ont les moyens doivent contribuer pour bénéficier de la couverture », précise Hassan Boubrik 

DÉFIS À VENIR : PÉRENNITÉ ET INTÉGRATION DU DOSSIER PATIENT PARTAGÉ

Si l’AMO couvre aujourd’hui près de 25 millions de Marocains sous divers régimes (CNSS, CNOPS, etc.), la question de sa viabilité financière demeure. Une révision de la Tarification Nationale de Référence (TNR) est en cours afin d’améliorer l’accessibilité a la santé. Si on ameliore la TNR pour la consultation par exemple ou ya un gap, ca va faciliter a dépense et ca risque d’impacter négativement l’équilibre

Autre point d’achoppement : la coordination avec le Dossier Médical Partagé (DMP) du ministère de la Santé. Ce projet, qui devait centraliser l’ensemble des informations médicales des patients, a été suspendu par la nouvelle direction du ministère, soulevant des préoccupations sur l’interopérabilité des systèmes de santé.

UN MODÈLE À SUIVRE POUR L’AFRIQUE ?

Le cas marocain offre des enseignements précieux pour les décideurs de la santé en Afrique. L’intégration massive de nouveaux assurés, combinée à une digitalisation rapide, montre qu’une couverture universelle peut être atteinte en optimisant la gestion administrative et technologique.

Reste à savoir si le Maroc saura maintenir son élan tout en préservant la soutenabilité financière de son système de santé. La généralisation de l’AMO représente une avancée majeure, mais deux défis demeurent : d’une part, assurer une couverture effective pour toutes les populations, quelles que soient leurs situations ; d’autre part, garantir un financement pérenne et adapté aux besoins croissants du système.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *