Le 20 mars 2025, l’Alliance des économistes istiqlaliens (AEI), en partenariat avec l’Alliance des ingénieurs, l’Alliance des médecins et la Fondation Konrad Adenauer Stiftung, a organisé un débat sur l’économie de la santé au Maroc, un sujet d’actualité alors que le pays vise une couverture santé universelle (UHC) d’ici 2025. Cet événement, couvert par LeMatin, a exploré des enjeux cruciaux tels que le financement durable, l’amélioration de l’offre de soins via la télémédecine, et la gouvernance pour concilier secteurs public et privé, avec un focus particulier sur l’industrie pharmaceutique pour renforcer la souveraineté sanitaire.

Contexte et Importance

L’événement est intervenu à un moment clé, alors que la couverture santé au Maroc a progressé. Le Maroc a multiplié par trois le nombre de bénéficiaires de l’AMO en seulement quelques années. De 7,8 millions d’assurés en 2020, le pays compte aujourd’hui 25 millions de personnes couvertes par la CNSS. Les discussions ont reflété les priorités nationales, notamment post-COVID-19, où la souveraineté sanitaire est devenue une priorité, avec une production locale couvrant 65 % des besoins pharmaceutiques.

Thèmes Principaux et Interventions Clés

Les axes majeurs du débats sont résumés dans le tableau suivant :

IntervenantIdées ClésChiffres Clés
Abdellatif MaâzouzApproche systémique pour la couverture universelle, intégrant financement, innovation et logistique. Importance économique de la santé et souveraineté post-COVID.– Santé : 6 % du PIB marocain (vs. 10 % dans les pays développés).
Nizar BarakaÉquité via CHU régionaux et déconcentration ; souveraineté par production locale et prévention comme levier oublié (eau, tabagisme).– 45 % des médecins publics et 65 % des privés dans 3 régions
– 70 % des cliniques et 55 % des lits privés dans ces régions.
– Production locale : 70 % des besoins, intégration de 20 % à 50 %.
Ryad MezzourIndustrie pharmaceutique compétitive via exportations et investissements en chimie pour souveraineté.– Production locale : 75 % des boîtes, 50 % du chiffre d’affaires.
– 80 % des médicaments remboursés importés.
– Exportations : de 10 % à 70 % du chiffre d’affaires.
– 65 000 emplois.
Hassan BoubrikÉquilibre tarifaire (TNR) sans aligner public sur privé ; hausse raisonnable des dépenses pour soutenabilité.– Actes non répertoriés : ~200 (non 700-800).
– Dépenses de santé : 5,3 % du PIB en 2018, objectif 6,5-7 %.
Khalid LahlouConcentration des coûts due aux maladies chroniques ; besoin de partenariats public-privé élargis.– 2,9 % des assurés consomment 57 % des dépenses CNSS.
– Reste à charge : >35 % pour les patients.
Dr Mohamed ElmandjraSynergie public-privé pour une offre de soins globale, sans opposition entre secteurs.

Abdellatif Maâzouz : Une approche globale pour la Couverture Universelle

Abdellatif Maâzouz, président de l’AEI, a ouvert les débats en soulignant l’urgence d’une approche systémique pour la couverture santé universelle, intégrant l’offre de soins, le financement, l’innovation et la logistique. Il a justifié ce focus par trois raisons : l’engagement national dans ce programme ambitieux, la nécessité d’assurer la durabilité face à la croissance démographique, et le rôle économique de la santé, qui représente 6 % du PIB marocain (contre 10 % dans les pays développés). Pour lui, cette vision globale est cruciale pour répondre aux besoins croissants tout en renforçant la position du Maroc en Afrique.

Nizar Baraka : équité et souveraineté comme piliers

Nizar Baraka, secrétaire général du parti de l’Istiqlal, a mis l’accent sur l’équité et la souveraineté sanitaire comme fondements d’un système robuste. Pour l’équité, il a proposé des CHU dans chaque région pour corriger les disparités, notant que 45 % des médecins publics et 65 % des privés se concentrent dans trois régions (Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra, Marrakech-Safi), où se trouvent 70 % des cliniques privées et 55 % des lits d’hôpitaux privés. Sur la souveraineté, il a appelé à augmenter l’intégration pharmaceutique de 20 % à 50 % et à produire des principes actifs, avec une production locale couvrant déjà 70 % des besoins. Il a aussi insisté sur la prévention, souvent négligée, comme levier de santé durable.

Ryad Mezzour : Une Industrie Pharmaceutique Tournée vers l’Export

Ryad Mezzour, ministre de l’Industrie et du Commerce, a plaidé pour une industrie pharmaceutique compétitive à l’international. Bien que le Maroc produise 75 % des boîtes de médicaments localement, cela ne représente que 50 % du chiffre d’affaires, et 80 % des médicaments remboursés sont importés. Il a fixé un objectif ambitieux : augmenter la part des exportations de 10 % à 70 % du chiffre d’affaires, pour une industrie employant 65 000 personnes. Pour y parvenir, il a souligné la nécessité d’investir dans la chimie et de simplifier les réglementations, afin de tripler ou quadrupler la taille du secteur tout en renforçant la souveraineté sanitaire.

Hassan Boubrik : Équilibre Tarifaire pour la Soutenabilité

Hassan Boubrik, directeur général de la CNSS, a abordé la tarification et la soutenabilité financière. Il s’est dit ouvert à réviser la Tarification Nationale de Référence (TNR), mais opposé à aligner le public sur le privé, proposant plutôt une légère hausse pour le public pour encourager son usage. Sur les actes médicaux, il a corrigé une estimation de 700 à 800 actes non répertoriés, ramenant ce chiffre à environ 200 après intégration dans des forfaits. Il a aussi suggéré une augmentation raisonnable des dépenses de santé, de 5,3 % du PIB en 2018 à 6,5-7 %, pour maintenir un équilibre entre besoins et ressources.

Khalid Lahlou : Concentration des Dépenses et Partenariats

Khalid Lahlou, président de l’Alliance des médecins istiqlaliens et directeur de l’ANAM, a mis en garde contre la concentration des coûts, révélant que 2,9 % des assurés AMO consomment 57 % des dépenses totales de la CNSS, souvent pour des maladies chroniques liées au vieillissement. Il a pointé un reste à charge élevé pour les patients (plus de 35 %) et plaidé pour inclure de nouveaux traitements remboursables. Sur le partenariat public-privé, il a critiqué le cadre limité de 2015 et proposé trois niveaux (financement, services, gestion mixte), soulignant les défis d’attractivité du public pour les investisseurs privés.

Dr Mohamed Elmandjra : Synergie Public-Privé

Dr Mohamed Elmandjra, PDG du groupe Oncologie et Diagnostic du Maroc, a défendu une collaboration entre secteurs public et privé. Réagissant à Baraka, il a insisté pour que la réussite du privé ne soit pas vue comme un échec du public, prônant une complémentarité pour améliorer l’offre de soins. Bien qu’il n’ait pas fourni de chiffres spécifiques, son intervention a renforcé l’idée d’un système intégré, où chaque secteur contribue à une santé globale performante, un point clé pour réduire les disparités d’accès.

Conclusion

Cet événement a révélé une ambition claire : transformer le système de santé marocain en un levier de développement durable. Les chiffres – 6 % du PIB pour la santé, 45 % des médecins publics dans trois régions, 2,9 % des assurés consommant 57 % des dépenses – soulignent les défis d’équité et de soutenabilité.

Ces discussions offrent des pistes : Comment le Maroc peut-il dépasser les contraintes actuelles pour faire de la santé un véritable moteur de développement ? La souveraineté sanitaire, la synergie public-privé et la prévention sont identifiées comme des axes clés, mais leur mise en œuvre nécessite une vision cohérente et des choix stratégiques ambitieux. Le défi reste de garantir un financement pérenne tout en assurant un accès équitable à des soins de qualité. Comment le pays peut-il concilier ces impératifs pour bâtir un système de santé durable et inclusif ?

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