
Connected Health : Révolutionner le parcours de soins par les écosystèmes numériques
Panel – GITEX Africa 2025
À l’occasion de GITEX Africa 2025, la santé connectée a occupé une place centrale lors du panel intitulé « Connected Health: Revolutionizing Patient Care Through Digital Ecosystems ». L’objectif : explorer comment les technologies de santé connectée peuvent améliorer l’accès aux soins, tout en garantissant la sécurité des données et respectant les standards éthiques.
Cette discussion de haut niveau a rassemblé des intervenants venus d’horizons variés – diplomates, médecins, chercheurs entrepreneurs – chacun apportant un éclairage unique sur les défis et les opportunités que représente la digitalisation des systèmes de santé :
- Mamadou Coulibaly, Ambassadeur du Burkina Faso auprès du Royaume du Maroc
- Dr. Said Omar Saïd Hassane, Consul Général de l’Union des Comores à Laâyoune
- Samir Kaddar, Président du Réseau des Compétences Médicales Marocaines du Monde (Belgique)
- Mohammed Medwani, CEO d’InnovatiCS (États-Unis)
- Hassan Dihazi, Directeur des laboratoires de protéomique clinique en néphrologie et rhumatologie à l’Université Médicale de Göttingen (Allemagne)
- Dr. Youness Ahallal, Chef de l’Urologie Robotique au CHU de Nice (France), détenteur du record de la plus longue chirurgie humaine à distance sans technologie 5G
- Dr. Bamba Gaye, Directeur du Département d’Informatique Biomédicale à l’Université Emory (États-Unis)
- Dr. Mohamed Nedhirou, ancien Ministre de la Santé de la République Islamique de Mauritanie
- Tariq El Haddaoui, CEO de Meriva (Maroc)
Face à la montée des besoins sanitaires en Afrique et à l’explosion des solutions numériques, ce panel a ouvert une réflexion stratégique :
Comment construire des écosystèmes de santé connectée qui soient accessibles, éthiques, durables et adaptés aux réalités africaines ?
Dans un monde où la technologie redéfinit chaque facette de nos vies, la santé ne fait pas exception. Les écosystèmes numériques émergent comme la pierre angulaire des soins modernes, promettant de combler les écarts, d’améliorer l’accessibilité et de personnaliser les traitements comme jamais auparavant. Des villages reculés d’Afrique aux métropoles animées, les solutions numériques transforment la manière dont les soins sont dispensés et vécus.
Comprendre les écosystèmes numériques en santé
Aujourd’hui, les barrières à l’accès aux soins en Afrique subsaharienne restent massives : distances géographiques, pénurie de spécialistes, coûts prohibitifs, rigidité des horaires. Plus de 600 millions de personnes n’ont pas accès à des services de santé de base, soulignant l’urgence de développer des écosystèmes numériques pour combler cet écart. Seuls 52 % des citoyens africains ont accès aux soins nécessaires, et chaque année, 97 millions d’Africains subissent des coûts de santé catastrophiques, poussant 15 millions dans la pauvreté.
Le constat est partagé par les experts réunis au Gitex, les soins connectés (connected health) peuvent directement s’attaquer à ces inégalités. Comment ? En créant des écosystèmes numériques structurés, où le patient interagit avec médecins, spécialistes, laboratoires et pharmaciens via des plateformes intégrées.
Un écosystème numérique en santé est un réseau interconnecté d’outils, de plateformes et de systèmes numériques qui facilitent la prestation de services de santé. Selon McKinsey, ces écosystèmes sont des « réseaux de fournisseurs de services numériques offrant une solution unique pour les besoins de santé des utilisateurs ». Ils incluent des parties prenantes variées : patients, soignants, assureurs, entreprises pharmaceutiques et organismes de réglementation, tous collaborant pour améliorer les résultats des patients.
Briser les barrières à l’accès
L’un des avantages majeurs des écosystèmes numériques est leur capacité à améliorer l’accès aux soins, en particulier dans les zones reculées et mal desservies. La télémédecine permet aux patients de consulter des soignants sans se déplacer, réduisant les barrières géographiques et financières. En Afrique, où les patients peuvent parcourir des centaines de kilomètres pour voir un spécialiste, les consultations virtuelles économisent temps et argent. Pendant la pandémie de COVID-19, la télémédecine a maintenu l’accès aux soins tout en minimisant les interactions physiques (KFF).
Avec la télémédecine, le suivi à distance devient la norme, et l’accès au bon spécialiste ne dépend plus d’une localisation urbaine. En quelques clics, un habitant d’une zone rurale du Burkina Faso peut consulter un urologue de Nice ou un interniste basé à Atlanta.
Cependant, des défis subsistent, comme l’accès à Internet et la littératie numérique. Dans les pays en développement, une connectivité limitée peut entraver l’adoption des solutions numériques. Mamadou Coulibaly, ambassadeur du Burkina Faso, a souligné que l’infrastructure est essentielle pour réduire les barrières géographiques, permettant aux patients d’accéder à des spécialistes sans longs déplacements.
Mais sans cadre, pas de transformation
C’est là que le bât blesse : beaucoup de pays africains avancent dans le flou réglementaire. L’absence de normes de sécurité des données de santé – comme le soulignait Samir Kaddar – bloque le déploiement à grande échelle de ces solutions. Comment garantir la confidentialité des données médicales sensibles sans standards clairs, ni hébergeurs certifiés locaux ?
La souveraineté numérique devient alors un impératif stratégique. Tant que les systèmes de santé resteront dépendants de clouds étrangers non sécurisés, les États perdront la maîtrise de leurs politiques publiques de santé. Ce débat, longtemps perçu comme technique, devient politique. Il appelle une mobilisation claire des gouvernements et des institutions régionales pour bâtir des cadres juridiques solides, interopérables et pensés pour l’Afrique.
Ressources humaines : le talon d’Achille
Autre urgence : les ressources humaines. L’OMS recommande un médecin pour 4 000 habitants. En Afrique, la moyenne est d’un médecin pour 28 000. Dans ces conditions, comment absorber la transition épidémiologique qui fait de l’hypertension, du diabète et des maladies chroniques non transmissibles les nouveaux fléaux du continent ?
La réponse de Dr. Bamba Gaye (Emory University) est claire : il faut former une génération de professionnels ancrés dans les méthodes de la data science, de la santé numérique, et de l’IA. Car sans méthodologie et stratégie, même les meilleures technologies resteront lettre morte. La révolution digitale de la santé est d’abord une révolution de la formation.
L’intelligence artificielle, catalyseur de pertinence clinique
L’IA est déjà à l’œuvre. Dans les laboratoires de Göttingen, Dr. Hassan Dihazi développe des outils d’analyse protéomique qui permettent une prise en charge plus fine des pathologies complexes. Ailleurs, l’IA permet de traiter des volumes massifs d’imagerie médicale – souvent inexploités à 90% – pour améliorer les diagnostics. Ces avancées ne sont plus expérimentales. Elles sont prêtes à être déployées, à moindre coût, dans des centres de santé périphériques.
Encore faut-il que les investissements suivent. Comme le souligne Dr. Mohamed Nedhirou, les ministères de la Santé sont souvent absorbés par la gestion des urgences. L’innovation structurelle, elle, attend son tour. Or sans volonté politique et financements dédiés, aucun écosystème ne pourra émerger.
Une diaspora prête à s’impliquer
Un levier puissant, souvent sous-estimé, réside dans la diaspora médicale africaine. Des experts comme Dr. Youness Ahallal – qui détient le record mondial de la plus longue chirurgie à distance sans 5G – montrent que l’excellence clinique africaine existe. À condition de créer les ponts pour qu’elle contribue, même à distance, à l’essor des systèmes nationaux.
Samir Kaddar insiste sur un point clef : l’interconnexion des métiers de la santé. Un écosystème numérique ne se résume pas à une plateforme de consultation. C’est un environnement intégré, où le pharmacien, le médecin, l’acte clinique et la data interagissent en temps réel. La tech n’est utile que si elle soutient une architecture humaine fluide.
Repenser la prévention comme stratégie digitale
Enfin, la prévention doit redevenir centrale. Le digital permet de suivre à distance des patients chroniques, d’identifier des signaux faibles précoces, et d’automatiser le dépistage. Dans un contexte de transition démographique et épidémiologique, l’investissement dans des outils préventifs low cost – comme l’électrocardiographie connectée – peut avoir un impact immédiat, comme l’a illustré le projet du Prof. Gaye.
Ces “quick wins” ne nécessitent pas de milliards. Ils demandent une approche agile, coordonnée et orientée résultats. C’est aussi une manière de convaincre les bailleurs et les investisseurs qu’un autre modèle est possible : celui d’un développement local, soutenu par des solutions concrètes, mesurables et scalables.
Conclusion : bâtir la confiance et l’action
La santé digitale en Afrique n’est ni une utopie, ni une panacée. C’est une opportunité historique de recoller au peloton mondial. Mais pour qu’elle produise de la valeur, il faut aligner infrastructures, gouvernance, formation et cadre juridique. L’heure n’est plus aux intentions, mais à la coordination des efforts. À la création d’écosystèmes hybrides, pilotés localement, mais ouverts à la coopération internationale.
Alors : les États africains, les industriels, les bailleurs et la société civile sont-ils prêts à jouer collectif pour faire émerger une nouvelle souveraineté sanitaire par le digital ?