
Analyse de la mobilisation des étudiants en médecine, enjeux et perspectives de la nouvelle réforme.
Le mardi 10 juin 2025, les étudiants en médecine de Tanger ont réaffirmé leur mobilisation dans le cadre d’un mouvement national entamé depuis plusieurs mois. Ce soulèvement s’inscrit dans la continuité des contestations suscitées par la réforme des études médicales annoncée en 2022. Selon les étudiants, les promesses initiales ne se sont pas encore concrétisées sur le terrain.
Les étudiants de Tanger expriment donc leur colère en vue de leurs conditions de formations au sein des universités publiques. Ces futurs médecins dénoncent les constats suivants :
- la décision ministérielle de réduire la durée de leurs études de 7 à 6 ans,
- les conditions d’enseignement jugées dégradées,
- l’absence de dialogue réel avec les autorités universitaires et sanitaires.
Ce mouvement s’inscrit dans une dynamique plus large portée par les étudiants à travers l’ensemble du pays, visant à dénoncer les insuffisances structurelles et les incohérences de la réforme annoncée par l’ancien ministre de la Santé et de la Protection sociale, conjointement avec l’ancien ministère de l’Enseignement supérieur national.
Mais en quoi consiste réellement cette nouvelle réforme ?
Dans une volonté de répondre au déficit chronique de professionnels de santé, le gouvernement marocain a décidé de changer la réforme d’étude médicale.
Le bulletin officiel du 13 mars 2023 décrit les nouvelles normes de cette réforme, les fondements qui reviennent le plus souvent de la part des autorités concernées sont les suivants :
- Passage de nombres d’études de 7 à 6 ans afin d’améliorer la qualité de l’offre pédagogique.
- Application de mesures améliorant significativement le statut de résident dans le nouveau système.
- Augmenter le nombre d’admis par année dans l’ensemble des facultés publiques marocaines.
- Extension des zones de stages hospitaliers et infrastructures pour s’adapter au nombre croissant d’étudiants.
- La mise en place d’un nouveau décret pour affirmer les statuts des étudiants externes, internes et résidents.
- Augmentation des indemnités ( 1.200 DH pour les étudiants de troisième, quatrième et cinquième années et 2.400 DH pour ceux des sixième, septième et dernière année de stage) afin de mieux reconnaître les efforts et engagements des étudiants.
Les revendications clés :
Les étudiants en médecine ont formulé plusieurs revendications, reflétant leurs préoccupations quant à l’impact de la réforme :
- Maintien des 7 années d’études et exclusion des promotions concernées par la réforme de 7→6 ans.
- Amélioration des conditions de stages dans les hôpitaux, davantage de ressources pédagogiques et non la simple organisation d’examens de « rattrapage » pour compenser les mois perdus pendant les grèves.
- Levée des sanctions disciplinaires (suspensions, poursuites) visant certains manifestants.
- Maintien des promesses données concernant l’amélioration de la bourse des étudiants, les conditions de formations ainsi que l’élargissement et l’amélioration des infrastructures.
- Ouverture d’un dialogue inclusif avec les autorités de tutelle.
Qu’en dit le gouvernement ?
Pour le gouvernement, cette réforme constitue un levier stratégique et un pilier fondamental en vue d’un développement durable et soutenu de la santé publique marocaine. D’après les deux anciens ministres concernés : Abdellaoui El Miraoui ( ancien ministre de l’éducation supérieur) et Khalid Ait Taleb ( ancien ministre de la santé et de la protection sociale) : « il s’agit d’un réglage nécessaire, voire vital, afin d’améliorer significativement la qualité de l’offre pédagogique et de neutraliser les défaillances du système ancien, pauvre en contenu et riche en temps mort ».
Réponse des autorités
Les autorités ont adopté une approche combinant des mesures incitatives et des actions disciplinaires. Parmi les initiatives positives, on note :
- Amélioration des infrastructures, comme à l’hôpital Ibn Sina de Rabat.
- Revalorisation des indemnités pour les étudiants en médecine, visant à reconnaître leur engagement.
- Organisation de sessions d’examens de rattrapage et suppression des zéros attribués pour absence lors des grèves.
Cependant, certaines décisions ont été critiquées par les étudiants :
- Sanctions disciplinaires : Au moins six étudiants de Tanger, Rabat et Oujda ont été suspendus pour une durée pouvant atteindre deux ans, pour « perturbation des études ».
- Interventions des forces de l’ordre : Des sit-in à Rabat ont été dispersés, avec des rapports faisant état d’actions musclées.
- Dialogue insuffisant : Les étudiants rapportent que les discussions avec les autorités ministérielles, bien que entamées, n’ont pas abordé les problèmes de fond, tels que l’état des équipements pédagogiques.
Conclusion :
Les tensions persistantes entre les étudiants en médecine et les autorités mettent en lumière les complexités de la réforme du système de formation médicale au Maroc. Les revendications des étudiants pour une formation de qualité et un dialogue inclusif reflètent leur volonté de contribuer à une main-d’œuvre sanitaire solide, tandis que les réformes gouvernementales visent à pallier les pénuries systémiques par des changements structurels. Pour surmonter cette impasse, une approche équilibrée est nécessaire : l’établissement d’un cadre transparent pour la mise en œuvre des réformes, avec des échéances claires et des résultats mesurables, pourrait instaurer la confiance. Des consultations régulières et institutionnalisées, impliquant étudiants, éducateurs et décideurs politiques, permettraient d’aligner les priorités. Par ailleurs, le recours à une médiation indépendante, telle que celle du Médiateur du Royaume, pourrait faciliter un consensus.
Cette crise peut-elle constituer un levier de modernisation durable du système de formation médicale, ou risque-t-elle de prolonger les fragilités structurelles du secteur de la santé publique au Maroc ?